Un coup de klaxon m’arrache à la contemplation de Cranstown par la terrasse de mon loft, et sans traîner, j’attrape mon sac à main, et file vers la porte de l’appartement, qui claque dans mon sillage. Valentina m’attend dans sa voiture, et je prends place à ses côtés, vissant un sourire automatique sur mon visage, même si sa question me crispe un peu. “-Evidemment ! C’est pas l’un des moments qu’attendent avec le plus d’impatience les futures mariées ?” J’essaye d’avoir l’air enjouée, et pendant l’espace d’une brève seconde, je crois bien que j’aurais presque réussi à me convaincre moi-même. En réalité, cette étape me noue la gorge sans que je puisse me l’expliquer vraiment. Je ne peux pas m’empêcher de jouer avec ma bague de fiançailles pendant toute la durée du trajet, quand bien même il est assez court, et je ne peux pas retenir un petit soupir quand la voiture s’arrête devant la petite boutique de robes de mariées.

On est à peine entrées dans le magasin qu’une jeune femme s’avance vers nous, se présentant avant de demander laquelle de nous deux vient essayer les robes en question. Je sens un nouveau sourire crispé s’installer sur mes traits, forçant un rire à la remarque de la brune qui m’accompagne, alors que les mots m’échappent : “-Je plaide coupable. C’est bien moi qui m’apprête à prendre perpétuité.” Et une future mariée qui déborde d’enthousiasme, une ! Je me force à adresser un immense sourire à la vendeuse, à tel point que j’ai un peu mal dans la mâchoire, comme pour bien montrer que je plaisante sur le sujet. Même si au fond…c’est un tout autre débat. A sa proposition de champagne, et à la question de Valentina qui me demande ce que j’en pense, je hoche la tête avec bien trop de conviction, répondant aussitôt : “-Vous pouvez carrément mettre la bouteille !” Amanda me regarde avec des gros yeux et a l’air de se demander pendant quelques secondes si je suis sérieuse ou si je plaisante. Elle prend finalement le parti de faire un espèce de petit rire de greluche, avant de s’éloigner.

Le regard curieux de Val est déjà en train d’apprivoiser les lieux, alors que de mon côté, je prends le temps de retirer ma veste, et de poser mon sac à main sur la petite banquette prévue dans l’un des coins de la boutique. A sa question, je hausse un peu le sourcil, sans pouvoir retenir une énième grimace, qu’elle ne peut heureusement pas voir, puisqu’elle est de dos. “-Non…pas vraiment. Je n’ai pas pris le temps de faire des recherches sur le net pour voir ce qui se faisait de neuf en la matière, j’ai pas mal de travail en ce moment…” Ce qui, en soit, n’est pas tout à fait faux…et pas totalement vrai non plus. Avec un peu d’hésitation, je finis par avancer vers l’un des portants, caressant du bout des doigts les robes devant lesquelles je marche. “-Tu sais…je suis pas certaine d’avoir envie de me marier en blanc…” C’est vrai, c’est trop…classique. Attendu. Caricatural. Quand on pense à ce qu’est censé symboliser le blanc, on n’y est pas du tout avec moi, qui ne suis ni pure, ni chaste, ni innocente. Même tout le contraire.

Amanda est rapidement de retour avec un plateau doré sur lequel je distingue une bouteille de champagne, deux flûtes, ainsi qu’une petite assiette contenant quelques macarons. Elle dépose tout ça sur la table basse devant la banquette, avant de nous adresser un nouveau sourire, bien commercial, expliquant qu’elle nous laisse regarder ce qui pourrait nous intéresser, qu’elle reviendra nous voir un peu plus tard, et qu’on doit surtout, surtout pas hésiter à l’appeler au besoin. Et oui, elle a vraiment insisté sur le surtout. Amanda est pas encore tout à fait repartie que je m’occupe déjà de nous servir deux coupes, en tendant une aussitôt à la brune : “-Merci d’être venue avec moi. J’espère que tu accepteras aussi la corvée des essayages maquillage et coiffure…” Ouais, je suis sûre que présenté comme ça, Valentina va sauter de joie à ma demande déguisée…

Par réflexe plus qu’autre chose, je pose un sourire un peu crispé sur mes lèvres quand Valentina évoque le fait qu’on a toute la journée pour trouver la robe de mes rêves, si tant est que je puisse savoir qu’elle est cette robe, et qu’on pourra faire plus d’une boutique pour la trouver. Ça se voit, que je suis pas des masses emballée par l’histoire ? Je ravale une râlerie, avant d’évoquer cette possibilité qui m’a déjà traversé l’esprit, de ne pas me marier en blanc. Sauf qu’évidemment, ma remarque appelle une réaction de la part de ma belle acolyte, alors que je me renfrogne un peu. “-Ca…c’est une excellente question. J’en sais rien…abricot, vert d’eau, lilas…j’en sais rien.” Je soupire, parce que tout ça…me dépasse complètement. J’aurai dû confier à Nalini tous les détails de mon mariage, jusqu’à ma robe, mon maquillage, ma coiffure.

Je garde le silence encore quelques secondes, en profitant pour l’observer en silence comme si j’essayais de jauger sa réaction à venir, m’humectant doucement les lèvres : “-Je…possible que j’ai envisagé la possibilité de me marier selon nos traditions.” Je dis ça sans me tourner vers elle, parce que l’idée me fait encore tout bizarre à moi-même. Je sais bien que de nous trois, je suis la seule enfant Bachchan qui n’a pas été bercée par les traditions indiennes, la seule à ne pas connaître la langue natale de nos parents non plus. Je m’en suis toujours accommodée, en me disant que c’était juste la vie, que c’était comme ça, et basta, sauf que…peut-être que ça me travaille un peu ces derniers temps. Par moment, j’ai juste l’impression qu’ils ont…abandonné, sans savoir pour autant si c’est pas juste moi qui les ai poussés dans cette voie, sans trop savoir comment d’ailleurs.

Je sais que mes parents prennent ça pour une déception, que j’en connaisse si peu à nos coutumes, nos traditions, nos us…mais je veux être persuadée que si je revêts le costume traditionnel propre aux mariages indiens, ce sera parce que j’en ai vraiment envie, pas pour essayer de faire plaisir à mes parents. “-L’idée m’a effleuré l’esprit y’a quelques semaines, et…elle revient en boucle depuis. Et je sais qu’Andrew serait partant…sauf que…” Je me laisse tomber sur la petite banquette, en haussant les épaules : “-Je crois qu’il faudrait que j’en discute d’abord avec mes parents, et…je suis pas foutue d’aborder le sujet avec eux. Comme si c’était…tabou. Ou quelque chose comme ça.” C’est vrai quoi…ce sont mes parents, bordel, pourquoi je suis pas capable d’en discuter simplement avec eux ? Je devrais peut-être d’abord aborder le sujet avec Vikram, je suis certaine qu’il m’écoutera, lui. J’en reviens pas, de me prendre autant la tête pour ça. “-C’est ridicule, hein…” que je balance, même si j’attends aucune réponse de sa part.

Fort heureusement, le champagne débarque à ce moment, et nos deux verres sont vite remplis, alors que j’en profite pour la remercier de m’avoir accompagnée aujourd’hui, et d’avoir répondu présente pour ce que j’ai parfois tendance à voir comme des corvées, alors que Valentina fait preuve de beaucoup plus d’enthousiasme que moi. Sans surprise, elle répond présente quand je lui demande si elle accepte de m’accompagner pour les essayages coiffure et maquillage, et je lui adresse un sourire sincère en remerciement, alors qu’elle lève déjà sa flûte, contre laquelle la mienne s’entrechoque doucement : “-A l’avenir. A l’amitié. A nous deux.” Ouais…peut-être que j’aurai pu trinquer pour un autre petit détail aussi. “-A mon mariage.” Voilà. Ça sonne un peu moins pire que ce que je pensais. Je porte la coupe à mes lèvres pour boire une longue gorgée, les fines bulles pétillant sur ma langue. Un sourire finit par trouver son chemin jusqu’à mes lèvres, et il a le mérite d’être ni crispé, ni forcé, alors que je fixe quelques instants la belle brune, une lueur malicieuse dans le regard : “-Possible que j’ai demandé à Andrew s’il comptait inviter au mariage de charmants amis célibataires…” que je lâche, laissant planer les mots, et ce qu’ils impliquent, sans me départir de mon sourire.

J’ai une grimace malgré moi, alors que mon regard fuit un peu celui de Valentina quand on aborde le sujet des robes, du mariage, de tout ça. Si j’étais un tant soit peu futée, ou que j’acceptais juste d’arrêter de me voiler la face, je comprendrais pourquoi je me sens pas hyper à l’aise dans cette boutique, et ce malgré la présence de ma meilleure amie à mes côtés. Je sais pas pourquoi je continue à avoir de telles oeillères, pourquoi je continue sur la même voie, pourquoi je suis incapable de prendre les bonnes décisions pour moi. Voilà pourquoi l’idée de me marier en blanc me semble être une énorme…connerie. Enfin, ça…et peut-être un peu du reste, aussi.

Je finis quand même par confier à Val cette idée qui me trotte dans la tête depuis quelques temps déjà maintenant, et qui revient en force dans mes pensées à chaque fois que je me penche sur la préparation du mariage. Sauf que…la culture indienne, j’en ai été tenue éloignée pendant si longtemps, quasiment toute ma vie d’ailleurs, et…j’aurai l’impression d’être une imposture. C’est le seul mot qui me vient à l’esprit quand je pense à ça. Pourtant, la réaction de Valentina me rassure un peu…enfin, je crois. J’ai les sourcils qui se haussent légèrement, alors que je lui accorde toute mon attention, parce que j’ai besoin de son avis sur le sujet tellement je suis perdue. Je m’autorise une grimace, légère, avant de hocher la tête : “-C’est vrai que je pourrais commencer par en parler à Vik et Nalini…surtout que…comme tu le dis, c’est elle qui organise tout ça, alors…ça pourrait être bien de la tenir informée des changements éventuels. Mais…je crois que j’ai un peu peur de leurs réactions…à tous.” Et qu’elle risque de m’arracher les yeux si je lui dis à la dernière seconde.

Comme à chaque qu’on parle du mariage, qu’on fait quelque chose en rapport avec le mariage, qu’on organise le mariage, j’ai cette bouffée de stress qui me pousse à essayer de détourner le sujet…et franchement, j’ai l’impression de m’en sortir pas trop mal en réorientant la conversation sur elle, et les rencontres potentielles qu’elle pourrait faire lors de la soirée. “-Maudite en amour ?! Mais c’est quoi ces bêtises encore ?” Je la regarde avec cette mine sérieuse que j’ai pas souvent, mais qui ressort de ma manche à chaque sujet important. “-T’es trop canon pour être maudite en amour. Note quand même que je suis ultra partante pour que t’ai un chien. Je me propose même pour aller courir avec de temps en temps !” Les chiens, c’est trop mignon ! J’ai toujours voulu en avoir un, mais ça a jamais été le bon moment…malheureusement.

Je bois une gorgée de ce champagne, haussant les sourcils avant un franc hochement de tête à l’attention. “-Oh ouais…du super champagne de luxe. Il est délicieux.” Et je pourrais en boire toute la journée. Peut-être même que ça finirait par me détendre suffisamment pour que j’arrive à apprécier l’instant. Le verre en main, je retourne auprès des robes, les regardant à tour de rôle, sans pouvoir empêcher les grimaces de s’enchaîner sur mon visage. J’ai l’impression qu’on perd notre temps…et je sais que c’est horrible de penser ça. “-Bon allez…c’est juste une robe.” Et il m’en faut une, au cas où mon mariage soit moins indien que ce que j’espère. “-Toi…tu choisirais laquelle, Val ?” Ouais, il me faut un coup de main là, ou même de l’inspiration à ce stade.

Pourquoi peur ? Ola…est-ce que j’ai vraiment envie de me lancer sur ce sujet, maintenant, et ici ? J’ai un léger soupir, alors que je me passe une main dans les cheveux, pas très à l’aise. Je sais que c’est Val qui pose la question, et que ma réponse restera ici, entre les murs de cette boutique de robes de mariée, ce qui me rassure un peu. “-Parce que…ils sont parfaits, eux. Du genre à toujours prendre la bonne décision, à savoir ce qu’ils veulent, à tout réussir. Moi…j’ai toujours eu l’impression d’être une petite tâche, à côté d’eux. Je sais que c’est débile…mais c’est comme ça. Et oui, ils m’ont toujours soutenue, mais…je sais pas. Peut-être que c’est juste le stress du mariage qui obscurcit mon jugement, ou un truc comme ça…” Et je lève les yeux au ciel, parce que maintenant que je le dis, je me rends compte comme c’est con, comme raisonnement. Pourtant, je peux pas éloigner ce sentiment d’appréhension au creux de mon ventre quand je m’imagine leur parler des changements que je voudrais opérer dans la cérémonie de mon mariage.

Mon mariage…quand je pense encore à tout ce qu’il faut faire, tout ce qu’il y a à préparer, j’en ai le tournis. Et je décide en prime d’apporter des changements pas du tout prévus à la base…je vais jamais m’en sortir. Au moins, une chose qu’on a déjà établie, c’est la liste des invités, et le plan de table. Et possible qu’Andrew et moi on s’est arrangés pour mettre Valentina à côté de charmants jeunes hommes, qui pourraient lui plaire. Une annonce qui a pas l’air du tout de la faire bondir de joie. Bon, je m‘attendais pas à ce qu’elle se mette à danser de bonheur dans la boutique, mais quand même…un peu plus d’enthousiasme aurait été le bienvenue ! Je peux pas m’empêcher de marquer ma désapprobation à ses paroles, alors que je lève un sourcil. Maudite ? Mais…elle en a d'autres, des bêtises comme celles-là ?

J’écoute les arguments avancés par la jolie brune, m’arrêtant dans mes gestes, comme si ça me permettait de lui accorder plus d’attention. “-J’en ai pas eu beaucoup plus, je te rappelle. Et regarde…” Regarde, je suis sur le point de me marier, sans trop savoir pourquoi. Nope, nope, nope. Mauvais argument, on oublie. “-Tout ce que je veux dire, c’est que…même si t’as pas eu de chance jusqu’à maintenant, ça veut pas dire pour autant que t’es maudite, ou je sais pas quoi. Juste que t’as pas encore fait la rencontre qui changera ta vie. Y’a pas d’âge pour ça, et la plus souvent, ça arrive quand on s’y attend le moins. Genre au mariage de sa meilleure amie !” que j’ajoute en lui donnant un coup d’épaule, lui adressant un grand sourire. Je la désigne de la main, des pieds à la tête, et inversement, en reprenant : “-Tout ça là, ça mérite bien plus qu’un chien. Mais note quand même que j’aimerai ta bestiole à quatre pattes de tout mon cœur.” Et je lui fais un clin d'œil pour marquer mes propos. Elle connait ma passion pour les animaux, en tout genre.

Flûte de champagne en main, je finis par revenir vers ce qui nous amène initialement, à savoir les robes de mariées. Et y’en a…des tas. De formes différentes, de styles différents, de longueurs différentes…trop de choix. Beaucoup trop de choix. Et il doit pas être compliqué de voir que j’ai énormément de mal à me décider. A tel point que je finis par appeler Valentina à la rescousse. Sa réponse m’arrache une énième grimace, alors que je reprends ses paroles, d’un ton pas aussi enjoué qu’il devrait l’être : “-Le plus beau jour de ma vie, oui…”[/color] Pourquoi est-ce que j’arrive pas à voir les choses comme ça ?! J’ai un coup d'œil vers la robe qu’elle me montre, alors que je me tourne vers elle avec un sourire amusé : “-Simple et élégante…c’est tout moi ça !” que je dis dans un grand sourire, bien consciente que Val m’a vu alcoolisée trop de fois pour savoir que je suis loin d’être élégante dans ces moments-là.

J’appelle donc la vendeuse qui m’aide à trouver ma taille, et me lance un regard à la limite du flippant quand je fais mine de vouloir rentrer dans la cabine d’essayage avec ma flûte de champagne. Je crois qu’elle doit avoir peur pour sa robe, la brave dame. Les yeux rieurs, j’adresse un regard de circonstance à Valentina, avant de poser docilement ma flûte, et de laisser la conseillère fermer le rideau sur nous, nous coupant des regards indiscrets, dans cette cabine trop petite pour deux personnes. Elle a ce sourire commercial sur le visage qui pourrait me glacer, et elle fait même pas mine de détourner le regard pendant que je vire mes habits pour me retrouver en sous-vêtements. Une chance que je sois pas très pudique.

Avec des gestes qui trahissent le fait qu’elle a fait ça des tas de fois, elle m’aide à entrer dans la robe, à boutonner ce qui doit être boutonné, avant de se reculer pour regarder le rendu. Le rideau s’ouvre une nouvelle fois, sans même me demander si je suis okay pour ça, et sans même avoir le temps de me regarder, elle m’entraîne au centre de la pièce, devant trois énormes miroirs qui me permettent de me voir sous différents angles. Avec une petite seconde de retard, merci l’hésitation, je finis par lancer un coup d'œil dans le miroir face à moi. Ben merde alors…elle est sacrément blanche, cette robe. J’ai un coup de chaud, et le rouge qui me monte aux joues. Et non, le champagne y est pour rien. Merde alors. Bordel, ça fait sacrément officiel, là. Je me détourne de cette vision pour faire face à Val, écartant les bras. “-Alors…t’en dis quoi ?!”