Un long bâillement humidifia les yeux de la psychiatre, qui se força à se secouer pour rester attentive, alors qu’elle n’avait pas lâché des yeux Wyatt, qui serrait très fort dans sa main la laisse de Shadow. Casey avait une confiance aveugle dans le chien, sachant pertinemment qu’il n’existait rien qui puisse soudainement pousser le berger allemand à partir en courant, pour chasser un quelconque chat, ou écureuil. Aidan avait veillé à ce que la belle chienne obéisse parfaitement à ses ordres, une nécessité puisqu’elle l’accompagnait sur le terrain lorsqu’il était en opération militaire. L’énonciation de son prénom à voix haute rappela la jeune femme à la réalité, alors qu’elle récupérait son gobelet de café bien chaud.

De retour aux côtés du bambin, celui-ci tendit spontanément la main à sa mère, qui récupéra la petite menotte en adressant un sourire attendri à son fils. Elle avait passé une longue semaine loin des siens, son travail l’ayant conduit de l’autre côté des États-Unis, où son expertise psychiatrique était requise dans une prison fédérale. Ça n'avait pas été facile, le décalage horaire n’ayant bien sûr pas aidé, même si Aidan et elle avaient tout fait pour garder le lien, et que la métisse puisse échanger le plus possible avec Wyatt. Il était pourtant mensonger de prétendre que Casey était partie complètement sereine, l’idée de laisser le militaire seul à la maison avec un petit garçon, un ado, et un jeune adulte à problèmes l’ayant fait freiner des quatre fers. Mais Aidan la sachant passionnée par son métier, et psychiatre investie, avait insisté pour qu’elle se rende à San Francisco, et la séparation n’avait pas été évidente.

Le retour, lui, n’en avait été que plus exaltant. Le petit métis avait dessiné une jolie pancarte lui souhaitant un bon retour à la maison, avec des empreintes de ses petites mains, et même Shadow y avait été de son sens artistique, sans que la brune sache si c’était voulu ou non, une empreinte  et demi de patte de chien recouvrant le bord de la pancarte en papier. Et les retrouvailles avec Aidan avaient été…passionnées. Tout comme ces derniers mois l’avaient été, d’ailleurs, depuis qu’ils s’étaient lancés dans cette grande aventure d’agrandir leur famille. Une aventure qui peinait à se concrétiser, et ce, malgré tout l’entrain de leurs essais. Cela devait faire environ deux semaines que Casey n’avait fait aucun test de grossesse, et quand bien même cela nourrissait un certain espoir, elle redoutait peut-être aussi un peu ce moment où elle se retrouverait face à ce petit bidule en plastique, attendant de savoir si une deuxième barre bleutée allait enfin apparaître ou non. Elle avait néanmoins prévu un petit passage par une pharmacie pour acheter ce qu’il fallait, afin qu’ils soient fixés.

La fatigue du voyage, couplée à celle du décalage horaire, plongeait la jeune femme dans une sorte de coton légèrement anésthésiant, pas le moins du monde désagréable. Elle sentit une petite pression sur sa main, et baissa la tête pour remarquer le regard plein d’envie de Wyatt, qui pointait du doigt devant lui. “-Tu veux aller au parc ? Okay…on peut y faire un tour.” dit-elle en consultant sa montre, pressant en retour la main du bambin qui lui adressa un grand sourire. Ils arrivèrent donc au parc, alors que Casey posait son sac à main et son gobelet chaud sur le banc, et récupérait la laisse, le temps que le petit métis enchaîne les tours de toboggan, grimpait la cage à poule, et faisait de la balançoire. Des moments comme celui-ci lui faisaient parfois regretter de devoir partir si loin pour son travail, elle qui craignait toujours de ne pas voir le temps filer, ou son enfant grandir.

La jeune femme finit par détacher la laisse du berger allemand, sans craindre qu’il ne tente de se sauver du parc, même s’il s’éloignant déjà en courant rapidement…pour revenir quelques instants plus tard, avec une branche en travers de la gueule. “-Il faut que tu la lances maman. Le plus loin possible !” s’entendit-elle dire de la part du gamin, alors qu’elle attrapait ladite branche, et la lançait devant elle…une fois, deux fois, trois fois, puisque le chien la lui ramenait à chaque fois. Prenant son élan une nouvelle fois, Casey recula un peu trop vivement, manquant de s’étaler de tout son long quand elle percuta quelque chose derrière elle, qui avait échappé à sa vigilance. La psy réussit à rétablir son équilibre à temps, se retournant pour aviser une poussette dans laquelle elle s’était pris les pieds. “-Oh non…oh, je suis vraiment vraiment désolée. Quelle maladroite !” s’excusa-t-elle bien rapidement, confuse au possible, alors que son regard se relevait sur l’adulte derrière ladite poussette…alors que son cœur manquait un battement. La branche quitta ses doigts, aussitôt récupérée par Shadow, alors que Casey entrouvrait la bouche, légèrement sous le choc. Incapable de prononcer le moindre mot pendant quelques instants, elle ne pouvait que fixer l’individu face à elle, l’expression d’incrédulité sur son visage laissant peu à peu la place à un froncement de sourcils, jusqu’à ce que la brune retrouve la parole : “-Kaleb ?!”

Les choses revenaient lentement à la normale à la maison. La mort d'Anthea laissait des séquelles, nécessairement, mais les soeurs Mayflower reprenaient du poil de la bête et Kaleb se sentait rassuré. Certains soirs, la tristesse regagnait un peu de terrain, mais ça ne durait jamais, et le géant était plus ou moins sûr que Diego, ses petites mains potelées et son sourire édenté n'y étaient pas pour rien.

Ce matin, le ciel grisâtre et la bâtisse endormie l'avait conduit tout droit dans son atelier. Mikah avait été souvent livré à lui-même ces derniers temps, et fatalement l'apprentis avait fait quelques erreurs que l'ébéniste se devait de rectifier. D'ailleurs, il songeait sérieusement à lui donner une ou deux semaines de vacances. Le pauvre gars s'était donné corps et âme en plus de rendre quelques services à son patron, en extra, alors c'était le moins qu'il puisse faire, non?
Passé trois bonnes heures avec le nez dans le guidon, Kaleb était sorti pour s'étirer un peu, fumer une cigarette et nourrir le vieux matou avant que Snow ne vienne l'embêter. Entre temps, les nuages s'étaient écartés jusqu'à disparaître, laissant la place à un doux soleil. Comme Len devait s'absenter l'après-midi, Maya en avait profiter pour le taner. Elle tenait absolument à aller au parc aujourd'hui parce que sa super copine trop géniale y allait aussi et qu'elles devaient finir leur partie de... il n'avait rien comprit au jeu, malgré les explications longues et très détaillées qu'elle lui avait fournis dans le pickup.

Armé de tout l'attirail qu'on prenait toujours "au cas où" pour finalement ne se servir que de la moitié, Kaleb se promenait sur les sentiers propres et bien dessinés du parc qu'il trouvait joliment arboré. L'espace jeu à peine en vue, Maya s'était élancée dans sa direction. Il ne lui avait fallu qu'une seconde pour repérer sa copine et ses couettes blondes assorties de rubans d'un rouge particulièrement criard. Kaleb l'avait laissé faire, un sourire éclairant son visage. Diego, fidèle à lui même, était calme dans sa poussette qui paraissait minuscule à côté du père. Mais alors qu'il marchait tranquillement pour se rapprocher de Maya qu'il ne quittait pas des yeux et pourquoi pas s'installer sur ce banc à l'ombre d'un tilleul, il vit quelque chose se rapprocher sur sa droite, ne réalisant que trop tard que cette chose était une personne et qu'elle reculait sur eux.

La femme qui se confondit en excuses, il la reconnu immédiatement. Son visage, sa voix, ça lui fit l'effet d'une claque qui le renvoya tout droit dans le passé. "Casey!" s'exclama Kaleb sans l'ombre d'un doute. Ses yeux étaient ronds comme des billes. Il était tellement étonné qu'il ne savait quoi dire ou quoi faire d'autre que rester là, une main accroché à la poussette d'où Diego observait la scène en se mordant le poing et l'autre collée à son front. "Putain, Casey!" Après le court lapse de temps qu'il fallu au barbu pour s'en remettre, un sourire immense se dessina finalement sur son visage qui retrouva un peu de son éclat d'antan, tandis que ses mains vinrent englober les épaules de son amie retrouvée. Le père dévoué qu'il était aurait refusé de l'admettre, mais l'espace d'une poignée de secondes, il avait oublié Maya, Diego, et le reste du monde.

Sous ses yeux étonnés, arrondis par l’incrédulité, se trouvait bien Kaleb Rivers. Plus âgé. Plus grand. Plus costaud. Mais Kaleb Rivers, en chair et en os, si loin de leur ville natale que s’en était vraiment déroutant. Les mots manquèrent à la jeune métisse, alors même que le géant se rappelait d’elle, prononçant son prénom, un choc semblable sur le visage de celui avec qui elle avait grandi. Le sourire du grand homme faisait plaisir à voir, à des années lumière de cet être détruit que leurs amis communs lui avait décrit l’une des dernières fois où elle avait mis les pieds à Denver. Elle se sentit minuscule face à lui quand il posa les mains sur ses épaules, et sans vraiment y réfléchir, ni même penser à ce qu’elle faisait, la métisse se haussa sur la pointe des pieds pour venir serrer la massive silhouette entre ses bras fins.

C’était…irréel, après tout ce temps, et à tant de kilomètres de cet endroit qui les avaient vu naître. C’était le mot qui venait en tête de la jeune femme, qui prenait le pas sur tous les autres. La psychiatre serra de longues secondes Kaleb contre elle, avant de se reculer en le relâchant, un sourire trouvant finalement son visage. “-C’est…j’ai même pas les mots…” souffla-t-elle en secouant légèrement la tête, sans cacher sa surprise, et le fait qu’elle n’en revenait tout simplement pas. Des rires d’enfants lui firent tourner la tête vers l’aire de jeux une nouvelle fois, alors que la métisse fronçait légèrement les sourcils : “-Wyatt, pas aussi haut !” cria-t-elle, alors que le bambin juché presque au sommet de la cage à poule semblait grommeler, mais obtempérait finalement, alors qu’il avait été rejoint par une petite tête brune, et une blonde, dont Casey avait du mal à discerner les traits à cette distance.

Une fois qu’elle eut la certitude que le petit garçon était redescendu, elle accorda une nouvelle fois toute son attention au géant, se déplaçant légèrement pour garder les jeux dans son champ de vision. La différence de taille importante entre eux contraignait la jeune femme à lever le nez pour observer celui qu’elle avait connu des années plus tôt, ses sourcils se haussant une nouvelle fois. “-J’en reviens pas…je suis en même temps sans voix, et…j’ai tout un tas de questions qui se bousculent dans ma tête.” avoua-t-elle, son regard se posant quelques secondes sur la poussette, et ce tout jeune enfant paisiblement installé. Aussitôt, des tas de scénarios firent irruption dans les pensées de la brune, qui d’une œillade subtile observa la main du barbu, à la recherche d’une quelconque alliance. Sentant à quel point elle pourrait commettre un impair, mettre les pieds dans le plat involontairement et remuer d’anciennes blessures, la psy ne fit pourtant aucun commentaire, se lançant dans une proposition. “-Tu…ça te dit de discuter un peu ? Ca fait si longtemps…Mes affaires sont sur le banc là-bas…” dit-elle en montrant ledit banc du bout de l’index, se rendant compte qu’elle s’était vraiment éloignée, laissant toute la liberté à quiconque était intéressé par son sac à main de venir s’y servir comme si de rien était.

Entre ses mains, les épaules frêles de Casey irradiaient d'une chaleur familière. Alors qu'à son tour, elle vint enlacer son souvenir plus que l'homme qu'il était aujourd'hui, Kaleb fut pris d'assaut par une salve d'épisodes tirés de leur passé communs, courts et désordonnés, mais tous joyeux. Après tant d'années, ils se retrouvaient maintenant, si loin de chez eux... Kaleb était encore sous le choc de cette rencontre plus qu'inattendue qui le fit rajeunir presque instantanément.

Les deux se regardèrent un moment, reconnaissant les traits de leurs visages respectifs, leurs expressions ainsi que le son de leurs voix. Casey. En la voyant aujourd'hui, il réalisa combien son amitié avait pu lui manquer, fut un temps. "Incroyable?" proposa le géant qui retrouva ses esprits en même temps que son amie et décrocha un instant d'elle pour s'assurer que Maya était bien en vue et Diego toujours aussi sagement installé dans sa poussette. Le bébé n'avait pas bougé d'un cil, son regard allant d'un adulte à l'autre, intrigué par une scène inédite dont les dialogues étaient ponctués de drôles d'émotions, selon lui.
Ce qui reporta son attention sur elle furent les mots qui sortirent de sa bouche. Il tourna la tête, un sourire si rayonnant que même sa barbe ne pouvait pas le cacher et hocha la tête à sa proposition. "Carrément, ouais!"

Les années avaient passé et leurs enfants en étaient le témoignage. Si Casey avait des tonnes de questions, Kaleb qui était un peu plus long à la détente et qui avait du mal à se remettre du véritable choc qu'il avait eu, était néanmoins extrêmement curieux d'en savoir plus sur son amie d'enfance et de ce qui s'était passé durant cette longue période de séparation. Les deux s'en allèrent donc en direction du banc où reposaient les affaires de Casey. Kaleb s'installa à son tour, ne prenant pas la peine de sortir quoique ce soit de la poussette ou des bagages qu'elle transportait en plus du bébé. De là, il avait un point de vue parfait pour surveiller la gamine qui semblait s'amuser comme une petite folle à en juger par son rire qu'il pouvait reconnaître entre milles. "J'en reviens toujours pas..." Il avait un peu l'impression de rêver. C'est cette étrange sensation, comme s'il flottait, qui lui faisait cet effet. Pourtant Casey n'était pas un mirage, il en était certain. Hésitant de peur d'être déçu par la réponse, il se jeta quand même à l'eau sans trop attendre. "T'habites ici, maintenant?"

Incroyable oui, c’était bien le mot, celui qui collait parfaitement à la situation. Qui aurait pu imaginer qu’après toutes ces années sans se voir, les deux amis d’enfance allaient tomber l’un sur l’autre de façon aussi inattendue, à des kilomètres de leur lieu de rencontre. C’était…incroyable, Kaleb n’aurait pu trouver plus juste. Très rapidement, la métisse proposa au géant d’aller s’asseoir pour discuter un peu. Il lui semblait qu’ils avaient tellement de temps à rattraper, tellement de choses à se dire, à découvrir sur l’autre. Alors, quand le barbu accepta sa proposition, Casey lui adressa un large sourire, s’empressant de lâcher un bref : “-Génial !” plus qu’enthousiaste, alors qu’elle les entraînait déjà vers le banc évoqué un peu plus tôt.

Alors qu’ils marchaient côte à côte, la psy ne retint pas une œillade vers la poussette, et ce petit nourrisson qui s’y trouvait, pinçant les lèvres pour s’interdire toute question. Après ce qui était arrivé à Kara, il était inconcevable pour Casey de commettre le moindre impair, elle refusait de remuer des souvenirs douloureux, et attendrait que le brun parle de lui-même des deux enfants avec qui il était aujourd’hui. Ils s’installèrent sur le banc, et la jeune femme prit encore de longs instants pour observer son ami, alors qu’un nouveau sourire étirait ses lèvres, se muant en un rire léger à la remarque de Kaleb : “-Quelles étaient les chances, hein ?” demanda-t-elle de façon tout à fait rhétorique, riant une nouvelle fois. Il ne fallait pas être un génie pour deviner à quel point cela lui faisait plaisir et la ravissait d’être tombé ainsi, de façon totalement inattendue, sur son vieil ami.

N’oubliant pas son jeune fils qu’elle savait assez chenapan pour qu’il profite de son inattention pour grimper plus haut qu’il n’en avait le droit, Casey posa son regard sur Wyatt, qui s’amusait désormais aux côtés d’une petite brunette, mignonne comme tout, et qui était vraisemblablement un peu plus âgée que lui. Trop âgée, d’ailleurs, pour être l’enfant de Kaleb ne put-elle s’empêcher de noter, pour elle–même. Le regard sombre de la métisse se reposa sur le massif jeune homme, alors qu’il était finalement le premier à se lancer dans les questions. “-Oui ! Depuis…un sacré paquet d’années, maintenant. Je suis partie quelques temps, dans une ville voisine pour faire mes études, mais…j’ai fini par revenir ici. Cranstown a un côté terriblement attachant.” dit-elle dans un sourire, avant de reprendre la parole : “-Et toi alors ? Je ne savais pas que tu avais quitté Denver ! Tu es arrivé ici quand ?” demanda-t-elle à son tour, prenant vraiment sur elle pour ne pas le couvrir de toutes les autres questions qu’elle brûlait de lui demander.

Cette rencontre plus qu'inatendue avait totalement chamboulé le géant qui avait cruellement besoin de s'asseoir, en effet. Les pieds solidements ancrés dans le sol dénué de brin d'herbe autour de leur banc, il attendit la réponse de Casey avec une pointe d'appréhension. Sa vie était si belle désormais qu'il n'avait plus jeté de regard dans le rétroviseur depuis longtemps. Toutes les choses, toutes les personnes qu'il avait quitté et regretté autrefois avaient été occultées par son bonheur. Aujourd'hui, face à Casey et cette joie de la retrouver, Kaleb réalisait qu'elle lui avait manqué. C'était aussi de là que venait cette sensation de vertige. Se replonger dans le passé, plus ou moins lointain, plus ou moins heureux. Alors, Casey était elle sur le point de refaire son entrée dans la vie de l'ébéniste? Il se concentra sur Maya pour retrouver son calme habituel.

Kaleb se senti soulagé et son sourire, franc et chaleureux, en disait long. Maintenant qu'il était fixé, il pouvait se l'avouer : il aurait mal vécu ces retrouvailles si elles n'avaient été que pour un après-midi. Comment ces deux là avaient ils pu se tenir à une si grande distance aussi longtemps? Ils savaient tant de choses l'un sur l'autre, et si peu à la fois, désormais... "Sérieux?! C'est cool!" dit-il sans pouvoir s'empêcher de secouer l'épaule de la pauvre Casey avec sa main gigantesque, ravi. "Eh ouais! Ca doit faire... j'sais pas... trois, quatre ans? Plus?" Il n'était pas sûr pour la simple et bonne raison que pendant longtemps, il s'était efforcé d'ignorer le temps qui passe... Puis Lenny était apparue et le temps n'avait plus eu d'importance du tout.

"Oh excuse-moi." dit-il en posant ses yeux le petit qui avait trouvé sommeil. Sans parler du fait qu'il avait perdu ses bonnes manières des années plus tôt, il était tellement perturbé par la situation et les sentiments qui l'accompagnaient qu'il n'avait pas pensé que Casey devait se demander qui était cet enfant et surtout, si c'était le sien! "Je te présente Diego. C'est mon fils." dit-il à la fois très fier et d'avance amusé par la réaction qu'il allait nécessairement provoquer chez Casey.

Ils avaient sans doute l’air malin, ces deux-là, à sourire comme deux benêts, d’une oreille à l’autre. Un spectateur extérieur aurait sans doute pu se demander quelle mouche les avait piqué, ou ce qui leur prenait, pour qu’ils affichent ainsi un sourire à se faire des crampes aux joues. Pourtant, nul ne pouvait douter de la sincérité de leurs mimiques. Qu’il s’agisse de Casey, ou de Kaleb, le même ravissement incrédule marquait leurs traits, alors qu’il semblait clair que chacun était plus qu’enthousiasmé de retrouver l’autre. Et la métisse avait hâte de raconter celà à Aidan, de lui dire comment le hasard avait jugé bon de replacer sur leurs routes deux anciens amis.

La paluche de Kaleb trouva la frêle épaule de Casey, qui n’eut pourtant pas la moindre grimace, continuant de sourire à s’en décrocher la mâchoire. “-Oh mais ça fait une paire d’années ! Comment se fait-il qu’on se soit pas vus avant ?!” demanda-t-elle dans une question qui n’appelait pourtant aucune réponse. Et dire qu’ils auraient pu encore se manquer, et passer l’un à côté de l’autre sans se voir pendant encore des années. Mais le savoir là, dans la même ville qu’elle, cela lui réchauffait le cœur, et la mettait dans une humeur plus qu’excellente, que rien ne pourrait venir ébranler aujourd’hui. La psychiatre songeait déjà à toutes ces soirées qu’ils allaient pouvoir faire pour rattraper le temps perdu…ou ces après-midis au parc qui s’annonçaient, si elle se fiait à ce qu’elle avait sous les yeux, ces trois petits bambins.

Une nouvelle oeillade de la brune vers son fils qui jouait avec la fillette, et Casey perdait légèrement sous sourire, alors que que ses sourcils se fronçaient un peu. Elle n’eut cependant pas l’occasion de demander pourquoi le grand gaillard s’excusait soudainement qu’il lui présentait le petit bout de chou, endormi dans sa poussette. Le regard écarquillé, une moue attendrie sur le visage, la métisse s’autorisa enfin à regarder avec un peu plus d’insistance le bébé endormi : “-Oh Kaleb…regarde moi cette merveille. Il est…il est vraiment très mignon. Toutes mes félicitations !” lui dit-elle en posant à son tour sa main sur l’épaule de son ami, avant de venir le serrer un instant brièvement contre elle. “-Je suis ravie pour toi.” souffla-t-elle avec une émotion non feinte, sachant le parcours compliqué qui avait été celui du jeune homme.

Son regard dévora encore quelques secondes le poupon endormi, avant que Casey se redresse, pour désigner Wyatt, en pleines acrobaties : “-Et ce petit bout casse-cou là-bas, c’est Wyatt, mon fils.” souffla-t-elle à son tour, alors que les deux gamins leur adressaient un petit signe de la main, comme s’ils devinaient que les adultes parlaient d’eux. Animée d’une joie qui refusait de faire disparaître le sourire sur son visage, Casey lâcha un léger rire, avant de secouer doucement la tête : “-Tu es ici, à Cranstown, et tu es papa ! Kaleb Rivers, je n’avais pas eu une aussi bonne journée depuis longtemps !” dit-elle en toute sincérité, un nouveau rire quittant ses lèvres.

Une expression mutine trouva peu à peu sa place sur le visage de la métisse, qui ne tarda pas demander, en croisant fort les doigts pour ne pas commettre d’impair : “-Alors…qui est l’heureuse élue ?” demanda-t-elle dans un sourire malicieux qu’elle ne chercha même pas à cacher, même s’il s’agirait sans doute de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Qui qu’elle soit, Casey était malgré tout ravie de constater que cet homme au grand cœur avait trouvé la personne idéale pour lui, celle qui avait su lui redonner goût à la vie.

Kaleb avait haussé les épaules. "J'suis pas beaucoup sorti de ma tanière, tu sais." A l'époque où ils se fréquentaient, Kaleb sortait très souvent, suivant sa bande de copains à peu près partout, répondant présent quasi systématiquement. Si la vie avait été différente, plus clémente, Casey et lui se seraient sans doute croisé bien plus tôt, mais ça n'avait pas été le cas. Pendant longtemps, Kaleb s'était enfermé dans une routine solitaire, ne sortant que s'il y était obligé, ou pour aller se saouler dans un bar miteux une fois le mois. Lenny était entrée dans sa vie et avait tout chamboulé, pour le mieux. Il était un nouvel homme, à présent et ça comme leurs retrouvailles, ils le devaient à sa bien aimée. Tout ce qui lui arrivait de bien dans sa vie, il le devait à sa Len, et cette pensée agrandissait un peu plus le sourire qui illuminait déjà son visage.

Chaque fois qu'il mettait les pieds en ville accompagné de son bébé, Kaleb avait droit aux compliments des passants, des commerçants ou de clients qui le reconnaissaient, mais leur tendresse envers Diego n'avait pas la même saveur que celle exprimée par Casey. "Merci!" fit le barbu au coeur attendri par les paroles de son amie d'enfance. Ravie, elle l'était sincèrement, il en était convaincu. Les années s'étaient écoulées, tous deux avaient changé, mais leur amitié avait été assez forte pour résister. Kaleb avait vraiment l'impression de l'avoir quittée la veille.

Cherchant à suivre le regard de son amie, Kaleb découvrit que le petit qui jouait avec la soeur de Lenny était le fils cette dernière. "Wow... Wyatt." Et puisqu'il ne trouvait rien d'autre à dire qui reflète plus ses sentiments actuels, il répéta : "Wow..." avant de secouer une nouvelle fois l'épaule de Casey tout en échangeant un sourire complice avec elle. "La même pour moi, la même." Ils étaient si heureux l'un pour l'autre, si heureux de s'être retrouvés aussi, qu'il était difficile pour Kaleb de sourire davantage sans en avoir mal aux joues et pour Casey d'être plus rayonnante sans l'éblouir jusqu'à l'aveugler.

Kaleb prit son temps pour répondre, arborant une expression volontairement énigmatique en réponse à la malice de son amie retrouvée. "Elle s'appelle Lennox. J't'assure que le plus chanceux des deux, c'est moi. Elle est... merveilleuse." dit-il enfin avec un sourire qui en disait long. "Et tu vois la môme là bas? Celle qui joue avec Wyatt. C'est sa petite soeur." Couvrant la petite d'un regard emprunt d'amour, Kaleb laissa aller son dos contre le banc, croisant les mains derrière sa tête. Il soupira, jetant un oeil à Diego qui dormait à poings fermés. "Ouais... j'ai vraiment eu un bol monstre.", puis à l'attention de Casey. "Et toi?"

Le regard posé sur le petit bébé dans la poussette, Casey n’avait pas besoin de feindre le sourire gaga qui s’étalait sur son visage. Elle avait toujours eu des facilités avec les enfants, les adorait depuis qu’elle était adolescente, et ne rechignait jamais à faire le clown pour les faire rire. Alors ce regard pétillant et débordant de tendresse qu’elle posait sur le nourrisson était on ne pouvait plus sincère. Et puis, ce petit Diego, si mignon, la renvoyait des années en arrière, quand Wyatt était lui aussi âgé de quelques mois. Ça remontait à si loin maintenant, à une autre vie sur laquelle elle choisit pourtant de ne pas s’attarder. Transportée de joie pour son ami, elle ne tarda pas à féliciter Kaleb pour ce merveilleux petit bout de chou, qui faisait sans doute le bonheur de ses parents, alors qu’elle lui présentait à son tour Wyatt, occupé à jouer avec une petite brunette. C’était fou qu’ils se retrouvent après tant d’années ici, à Cranstown, et qu’ils aient tous les deux franchi de nouvelles étapes dans leurs vies, jeunes parents qu’ils étaient. Le sourire qui persistait sur le visage de Casey était loin d’être feint, et la psychiatre était plus que ravie par toutes ces bonnes nouvelles.

Alors évidemment, même si elle n’était pas des plus curieuses, et souhaitait respecter la vie privée du géant, Casey avait des tas de questions qui lui venaient en tête, comme autant d’interrogations pour rattraper le temps perdu. Et évidemment, la métisse ne tarda pas à lui demander qui était la jeune femme qui avait réussi à se frayer un chemin jusqu’au coeur meurtri de ce grand barbu. Elle adora l’air amoureux qui trouva sa place sur le visage de Kaleb, alors qu’il lui parlait de cette Lennox, qui semblait vraiment le rendre heureux, et étirait encore davantage les lèvres de Casey, qui s’autorisa un léger rire : ”-Je vais finir par avoir mal à la mâchoire à force de sourire comme ça. Mais je suis tellement…contente, c’est dingue ! Contente pour toi, contente qu’on se soit retrouvés, contente de voir que tu sembles vraiment heureux.” dit-elle alors que la grosse paluche de son ami retrouvait son épaule.

Le regard sombre de la métisse se tourna vers les deux enfants en train de jouer, alors qu’elle haussait une nouvelle fois les sourcils, et entendant Kaleb se dire chanceux. “-C’est la belle sœur la plus choupi du monde…” s’extasia-t-elle une nouvelle fois, le cœur gonflé de tellement de tendresse que s’en était presque incroyable. Elle continua à observer les deux bambins de longues secondes, avant de consentir à répondre à la question posée par le barbu. “-C’est Aidan…mon amour de jeunesse. Ça a été…les montagnes russes, mais…je me sens vraiment en paix maintenant, vraiment…comblée quand je suis avec eux. Un vrai bonheur.” raconta-t-elle, un sourire épanoui sur les lèvres, qui venait appuyer ses propos. La vie n’avait pas toujours été un long fleuve tranquille, mais elle ne regrettait aucune des embûches qui s’étaient dressées sur son chemin. Elle regrettait simplement les conséquences que ses actes avaient eu sur Mathy, son ex-mari. “-C’est prématuré de dire qu’on devrait organiser un truc tous ensemble ? Oui, sûrement…je crois que c’est l'excitation qui parle !” demanda-t-elle dans un léger rire.

Il allait falloir tellement plus de quelques minutes sur ce banc pour que Casey parvienne à lui raconter tout ce qui s’était exactement passé pour qu’elle ressente ce bonheur qui était le sien aujourd’hui. Mais ce n’était pas une conversation qui serait toujours joyeuse, et elle préférait ne pas ternir leurs jolies retrouvailles, si inattendues. La métisse tourna une nouvelle fois la tête vers Kaleb, lui adressant un grand sourire, alors qu’elle finissait par embrayer sur un autre sujet. “-Bon…tu vis à Cranstown, tu as un magnifique bébé, une petite belle soeur à croquer…et que fais-tu pour occuper tes journées qui doivent être déjà très bien remplies ?” demanda-t-elle dans un sourire amusé, sincèrement intéressée par la vie de son ami.

La joie manifeste de Casey était partagée par le barbu qui, lui non plus, n'en finissait plus de sourire. S'il n'était pas pressée de devoir la quitter, il avait hâte de raconter ces retrouvailles aussi géniales qu'innatendues à Len. Ce sentiment qu'il l'envahissait, si spécial, Kaleb l'accueillait avec plaisir. C'était un peu comme si maintenant qu'ils s'étaient retrouvés, ils ne pourraient plus se quitter. Plus comme ça, si longtemps, si durement. Avec le recul, Kaleb s'en voulait d'avoir baissé les bras. Il s'était montré si fataliste vis à vis de tout ce qu'il avait perdu, sans jamais chercher à retrouver quoique ce soit. Ses amitiés si fortes, sa famille si proche qui avait tenu bon pour lui, l'entreprise familliale, sa joie, sa vie toute entière. Aujourd'hui, Kaleb était plus heureux que jamais. Pourtant, en regardant dans le rétroviseur, c'était avec une profonde nostalgie mêlée à de grands regrets. Quoiqu'il en soit et en cet instant, dire que le géant était ravi était un véritable euphémisme.

"T'as vu ça!" Ses yeux étaient plissés par son sourire. Celle qu'il appelait affectueusement "sa petite loutre" jouait et riait en compagnie du garçon qui en faisait tout autant. "Oh, Aidan?" dit-il l'air un peu intrigué sans en dire davantage. D'après les quelques bribes de cette histoire que Casey consentait à lui conter, Kaleb devinait qu'elle avait souffert. D'après ses dires et même, en la voyant, elle était épanouie maintenant, mais apparemment ça n'avait pas été l'évidence même et Kal se sentait désolé de l'apprendre. Il sourit néanmoins et claqua ses genoux de ses paumes. "Bah, si t'es heureuse maintenant, c'est tout c'qui compte! Pas vrai?" Cette phraste faisait écho à son propre passé et son enthousiasme n'était pas artificiel, du genre de ceux servant à meubler la conversation, à passer à autre chose ou à cacher la gêne que l'on peut ressentir en apprenant de tristes choses au sujet des gens que l'on cotoie. Kaleb était sincère et en retrouvant son amie, il ne pouvait voir la vie autrement que du bon côté.

"Prématuré? Tu rigoles? Evidemment qu'on va s'organiser un truc!" Pour Kaleb, il n'était pas question de repartir chacun de son côté sans prévoir de se retrouver à un moment ou un autre. Pas question que ce moment si particulier, si heureux, se retrouve noyé par le quotidien et finisse par se transformer en simple anecdote. Casey avait toujours eu une place importante dans son coeur et elle venait de la retrouver. L'avait-elle seulement perdue?
Curieuse, au moins autant que lui, la jolie métisse désirait en savoir plus sur l'homme qu'était devenu l'être déprimé qu'il avait été. "J'me suis mis à mon compte. Comme menuisier." Ca n'était pas une grande surprise. Kaleb avait toujours travaillé aux côtés de son paternel et personne n'avait jamais douté de son avenir professionel. "Ca marche plutôt bien pour moi. J'ai du travail, des chantiers intéressants." Même s'il avait du travailler dur au départ, à présent qu'il était bien installé et qu'il s'était fait un nom à Cranstown, l'ébéniste s'amusait davantage sur des projets spéciaux, de grande envergure ou à gros budget. "Et toi? Ton boulot?"