“-Attends…tu plaisantes là ? Nan mais…deux semaines Andrew, on parle de deux semaines, pas de deux jours ! Comment veux-tu que je reste calme ? Tu sais quoi ? T’as qu’à te marier avec ton foutu boulot, puisque tu l’aimes tant que ça !” Et je raccroche, avant de souffler longuement, reposant le téléphone sur le siège passager, les doigts tremblants. Deux semaines…c’est vrai, ce n’est pas grand-chose. Enfin, pas grand-chose quand ça ne fait pas déjà trois semaines qu’il est en déplacement. Je suis la première à vouer des heures incalculables à mon boulot parce que je l’adore…mais bordel, il est pas censé m’adorer, moi, encore plus ?! C’est à croire qu’il est fiancé à son métier avant de l’être à moi, et cette situation m’use de plus en plus. Il suffit de compter le nombre de disputes qu’on a ces temps-ci pour se rendre compte que les choses ne vont peut-être pas aussi bien qu’on aime le penser. Avec des gestes rageurs, j’arrache la bague de fiançailles qui orne mon annulaire, si brusquement que je me fais mal, même si à cet instant, c’est le cadet de mes soucis.

Malgré mon état d’agitation, je me force à inspirer et expirer plusieurs fois à la suite, alors que mes poings s’ouvrent et se serrent à de nombreuses reprises. Finalement, ce n’est pas plus mal que je sois allée chercher l’article de mon interview qu’à fait encadrer le lycée avant ce coup de téléphone qui met mes nerfs à plus rude épreuve que tout ce que j’avais pu imaginer. Je ne suis pas sûre que j’aurai été des plus agréables avec mon ancien proviseur, qui a pourtant semblé ravi de me voir. Si j’avais eu Andrew au téléphone avant, y’a même de fortes chances que le proviseur aurait eu de nouveau à faire à la terreur que je pouvais être plus jeune, aidée par Pierce dans mes bêtises. Insolente, et pas très aimable. Là…là, j’ai juste envie de solitude, de mettre la musique à fond pour noyer le bruit dérangeant de mes pensées, et ouvrir une bouteille de vin. Il me faut encore une longue expiration pour finir par démarrer la voiture, me rendant à l’évidence : la pluie qui tombe depuis plus d’une heure déjà ne va pas miraculeusement s’arrêter parce que je l’espère très fort. Je n’aime pas trop ça, rouler sous la pluie, mais l’envie de rentrer chez moi est si forte que prendre sur moi ne me paraît pas si difficile. Sauf que je n’ai pas parcouru plus d’une vingtaine de mètres en voiture que je remarque une petite silhouette un peu plus loin, battue par la pluie et le vent…une silhouette qui n’a pas l’air de vraiment aimer le fait que je l’ai remarquée.

En plissant les yeux, je crois remarquer qu’il s’agit d’une adolescente, aux cheveux trempés…et je ne peux pas m’empêcher de me demander si tout va bien pour elle. En râlant un peu, je finis par sortir de la voiture, pour me diriger vers le petit tas d’habits mouillés : “-Hé ! Tout va bien ? Oh non…mais reviens !” Et voilà comment je me retrouve à courir après ce qui s’avère être une gamine sans doute trempée jusqu’aux os, jusqu’à ce que je la rattrape, et l’arrête dans son élan, une main sur l’épaule. “-Attends…n’ai pas peur, je te ferai pas de mal.” Elle finit par lever sa trogne vers moi, alors que je tente de lui adresser un sourire rassurant qui ne doit pas vraiment avoir l’effet escompté, mais elle prend la sage décision de ne pas se remettre à courir, et ça…c’est plutôt un bon début. “-Je m’appelle Indira…mais tu peux m’appeler Indy, si tu veux. Tu t’appelles comment ? Tu fais quoi, toute seule sous la pluie ?” Et c’est comme ça que j’apprends qu’elle s’appelle Charlotte, et qu’elle est tout simplement…perdue.

La gamine a voulu rentrer avec quelques autres collégiens, mais elle s’est rendue compte trop tard que les gosses ne prenaient pas le même chemin que celui qu’elle emprunte au quotidien, et elle espérait pouvoir retourner devant le collège pour reprendre le cours de son trajet habituel. La pluie s’est invitée dans sa petite sortie, et la voilà, tremblante, et sans doute glacée. Je le sais, parce que je ne suis pas sous la flotte depuis plus de quelques minutes que j’ai les cheveux qui dégoulinent, et les habits mouillés. “-Tu connais ton adresse ? Je peux te déposer chez toi, si tu veux. Je sais qu’il faut se méfier des étrangers, mais…tiens, si tu veux prévenir quelqu’un que tu vas bien, et que tu arrives.” Sauf que Charlotte ne connaît pas de numéro par cœur, et on se retrouve une longue minute sous la pluie en silence, alors que j’essaye de réfléchir à une solution.

Je ne me vois tout simplement pas reprendre ma route comme si de rien n’était, et la laisser où elle est…et je ne compte pas non plus la trainer de force dans ma voiture, où elle sera au sec. Je n’ai pas vraiment envie d’être la raison pour laquelle elle devra se ruiner en psychologue d’ici quelques années. “-On peut appeler la police, si tu préfères ?” Sauf que cette idée a l’air de la faire sévèrement flipper, et après un nouvel instant d’hésitation, Charlotte finit par accepter que je la reconduise chez elle. Nos vêtements nous collent à la peau, et je ne sais pas pour elle, mais je déteste cette sensation. “-Je vais mettre du chauffage, d’accord ? Si jamais tu as trop chaud, tu peux diminuer la température.” Elle me fait un timide hochement de tête, et voilà comment on se retrouve à prendre la route, deux inconnues trempées jusqu’à la moelle, dans un silence particulièrement pesant que je ne sais absolument pas rendre plus agréable. Hé bah…la route va être longue…

Je ne suis pas très à l’aise avec la petite ado, parce que je n’en ai pas souvent dans ma voiture, et…je ne sais pas forcément quoi lui raconter, à la gamine. Et pour le coup, j’ai bien l’impression que la petite Charlotte ne sait pas trop quoi dire non plus. Elle regarde par la fenêtre avec beaucoup trop de concentration, avec cette expression qu’on les gens qui ne savent pas quoi dire, ou quoi faire, et qui font tout pour éviter notre regard. Ses mains fines se tendent vers le chauffage, alors que je me lance dans un monologue, ma passagère se contentant de m’adresser des réponses composées d’un ou deux mots, quand ce n’est pas un simple hochement de tête. Même quand elle doit m’indiquer quel chemin emprunter elle se montre ultra concise…et je me retrouve à combler tous les blancs en parlant pour deux, sans forcément que ce que je raconte ai du sens.

Voilà pourquoi je ressens une pointe de soulagement quand Charlotte me montre enfin une maison à quelques mètres de nous, alors que je finis par arrêter la voiture devant l’habitation, remarquant une silhouette qui semble arpenter le trottoir, malgré la pluie. La gamine sort de la voiture, alors que l’homme va immédiatement vers elle, sans que je puisse entendre ce qu’ils se disent. Un baiser sur les cheveux plus tard, l’adolescente file vers l’intérieur de la maison, alors que je vois le bonhomme, son père j’imagine, se diriger vers ma voiture. Je baisse la vitre côté conducteur, un sourire se posant sur mes lèvres quand le mec arrive à ma hauteur, et qu’il m’adresse quelques remerciements. “-Oh…euh…de rien, vraiment. Il pleut comme pas permis, et elle était toute seule, alors…” Je termine pas ma phrase, levant une épaule pour toute conclusion. En vérité, c’était la seule chose à faire à mes yeux, et je ne pense pas mériter le moindre remerciement. En revanche… “-Je ne dis pas non…merci.” J’ai la chair de poule qui hérisse les poils de mes bras, et je ne serais pas contre un peu de chaleur.

Mon regard suit celui du mec, qui est maintenant quasiment aussi trempé que moi, alors que je lui adresse un nouveau sourire. “-Et moi Indira. C’est un plaisir, Martin.” Je quitte la voiture emboîtant le pas du jeune homme, traînant un peu le pas quand on arrive devant la maison, alors que je fronce un peu les sourcils. Je ne retiens pas un léger soupir d’aise quand la chaleur de la bâtisse nous enveloppe, alors que j’enlève ma veste qui goutte par terre. “-Oh mince…désolée pour votre sol.” Je lui adresse une grimace, prenant un instant pour regarder autour de nous, avant de lui faire face de nouveau. “-Excusez-moi, mais…vous êtes nouveau en ville, non ? Je…je connaissais les anciens propriétaires de la maison, je ne savais pas du tout qu’ils avaient déménagé…et…je n’oublie jamais un visage, et le vôtre m’est totalement inconnu…” Cranstown n’est pas vraiment ce qu’on appelle une grande ville, et Martin…pas vraiment le genre de visage qu’on peut oublier.

On est bien mieux dedans, ça fait aucun doute. Et…oui, dans d’autres circonstances, cette phrase pourrait être terriblement graveleuse. Là, en l'occurrence, je parle juste du fait qu’il fait bon, et qu’on est au sec…enfin, dans un sec tout relatif, parce que je suis en train de mettre de l’eau partout sur le sol impeccable. “-Oui, c’est vrai…mais ça ne fait pas une très bonne impression de salir le sol de la personne qui a l’air décidée à vous éviter une pneumonie…” que je réponds dans une grimace, même si pour le coup, lui ça a l’air de le faire sourire. C’est vrai que c’est sans doute pas dramatique en soit, mais bon…j’aurais pu tomber sur un ou une maniaque qui m’aurait fait un trou au crâne pour une malheureuse goutte d’eau par terre.

Quoiqu’il en soit, je finis par regarder tout autour de moi, et émettre à voix haute les conclusions qui me viennent en tête bien rapidement : ils sont nouveaux en ville, ou en tout cas, débarqués récemment. Je ne peux pas retenir un léger sourire triomphant quand Martin confirme mes soupçons, me donnant quelques détails supplémentaires sur ce qui est arrivé aux anciens propriétaires. “-Ah, le soleil. Quelle merveilleuse idée ont-ils eu, quand on voit le beau temps qu’on a à Cranstown…” que je rétorque dans un sourire malicieux, en avisant nos vêtements trempés. J’admets que j’aurais adoré aller faire un tour en Californie, moi aussi. Pour quelques temps…ou un séjour plus long. Martin me détourne de cette idée totalement improbable pour me proposer de quoi me changer, et j’hoche la tête avec reconnaissance. “-Merci…ce serait vraiment appréciable.” Et pendant qu’il disparaît, j’en profite pour regarder encore un peu autour de moi, ne résistant pas à cette once de curiosité qui me titille.

J’ai encore le regard qui traîne un peu quand le jeune homme est de retour, avec une pile de vêtements pliés entre ses mains, que j’attrape aussitôt qu’il me les tend. “-Merci.” que je me retrouve à répéter une nouvelle fois, m’étonnant de voir comme il peut être sympathique avec une illustre inconnue. Je me rends dans la pièce indiquée, zieutant encore ce qui se trouve là, avant de me mettre en sous-vêtements, et d’entreprendre d’éponger mes cheveux, que je finis par attacher dans un chignon haut. Les vêtements qu’il m’a apportés ne sont pas du tout adaptés à ma silhouette, et même en rentrant le pull dans le pantalon pour essayer de gagner de l’épaisseur, je me retrouve à devoir le tenir à deux mains pour éviter qu’il ne me tombe sur les chevilles. Mais au moins, je suis au sec, et j’ai beaucoup moins froid que quelques minutes plus tôt.

Je finis par sortir de la pièce, me guidant aux bruits que j’entends un peu plus loin, à cette voix qui chantonne, et qui m’arrache un sourire. Un sourire qui s’étire d’ailleurs quand je vois la grimace sur le visage de Charlotte, qui s’est changée, elle aussi. Elle a l’air gênée au possible, et fuit mon regard, s’excusant à voix basse pour le spectacle offert par son père. Je finis par lâcher un petit rire, amusée par toute cette scène, l’homme qui chante de manière décomplexée, et la petite ado, qui préférerait se terrer dans un trou de souris plutôt que de me voir assister à ça. Sans trop savoir pourquoi, si ce n’est pour embêter encore un petit peu plus la gamine qui a l’air presque scandalisée, je me mets à chanter en même temps que Martin, adressant à Charlotte un grand sourire amusé, alors qu’elle semble à deux doigts de se frapper le front du plat de la main, comme si les deux adultes dans la pièce l'excédent, et qu’elle est la plus mâture de nous trois.

On finit la chanson en chantant plus ou moins juste, sans que je me départisse de mon sourire, et ô miracle, l’ombre d’un sourire similaire trouve finalement son chemin sur les lèvres de l’adolescente quand on atteint la phrase finale. Je rigole un peu quand on a fini, avant de lâcher, pleine d’autodérision : “-Bon…s’il pleut encore demain, je plaide entièrement coupable !” Parce que oui…ma voix ne ressemble pas vraiment à celle d’un ange, bien au contraire. Je me permets d’entrer dans la cuisine, un peu comme si j’étais chez moi, ne résistant pas à l’envie de poser ma main sur la tête de Charlotte, sentant ses cheveux mouillés contre la paume de ma main. “-Un coup de main pour les chocolats chauds ?” que je demande à l’attention de Martin, alors que je remarque le regard interloqué de la gamine sur ma main qui tient fermement le pantalon : “-Ils sont peut-être un poil trop grands, mais merci encore.”

Salir l'entièreté de la maison ? Oh non, je préfère éviter ! Martin est déjà bien aimable de m’accepter sous son toit, moi, une illustre inconnue trempée jusqu’aux os. Faut bien l’avouer, ce type a l’air hyper prévenant, preuve en est qu’il est déjà parti me chercher une serviette, ainsi que des vêtements de rechange. Ça me conforte dans l’idée rassurante que je suis pas tombée sur un psychopathe, qui attire des inconnues chez lui pour mieux les zigouiller ensuite. Et oui, j’ai regardé beaucoup trop de documentaires sur les tueurs en série et autres sociopathes, pour savoir qu’un enfant, c’est pas gage d'innocence et d’esprit sain. Quoiqu’il en soit, Martin m’apporte rapidement de quoi me changer, et après quelques minutes pour essayer de me sécher, j’enfile ce qui ressemble à ses fringues, avant de m’aventurer dans la maison.

Une voix chantante guide mes pas jusqu’à la cuisine, et après avoir remarqué que le jeune homme s’est changé, lui aussi, je me joins à lui dans sa chanson, Charlotte arrivant à son tour derrière moi. Je retiens pas un rire face à la spatule-micro, que l’adolescente semble déterminée à éviter coûte que coûte, alors qu’elle se joint pas à nous, gênée comme pas possible, ce qui ajoute encore à mon rire. La chanson arrive à sa fin, et la remarque de la gamine me fait sourire encore plus, avant que mon regard se reporte sur Martin. “-Bien Monsieur le Roi du chocolat chaud. Vous mettez la barre très haute, j’espère que vous vous en rendez compte ! Alors canapé, nous voilà !” Et gardant la ceinture du pantalon dans ma main serrée, je suis Charlotte vers le salon, où l’odeur du bois dans la cheminée, rassurante et réconfortante, nous accueille presque aussitôt.

J’ai toujours trouvé ça hypnotisant, les flammes, et je les observe depuis de longues secondes déjà quand l’ado finit par me tendre un peigne. “-Ah super, merci beaucoup Charlotte !” que je lui dis dans un grand sourire, m’empressant déjà de démêler mes cheveux. Le faire une fois qu’ils auraient été secs, ça aurait été l’angoisse. “-Tu veux que je démêle les tiens aussi ? Okay, tournez vous jeune fille. Merci bien.” Et je m’occupe de ses longueurs, alors que la douce chaleur des flammes fait un bien fou. On reste pas à attendre bien longtemps que Martin arrive avec les tasses, dont une qu’il me tend rapidement. J’ai les sourcils qui se haussent, et un nouveau sourire quand l’un, puis l’autre, vantent encore les mérites de ce qui s’annonce être le meilleur chocolat chaud de ma vie. Du moins…s’ils n’ont pas exagéré les talents de Martin. “-Merci. Tchin alors !” Et Charlotte s’empresse d’entrechoquer légèrement sa tasse contre la mienne, ce qui me fait sourire une nouvelle fois.

Un sourire qui s’agrandit légèrement quand je vois le petit nuage de chantilly qui se trouve bientôt sur le bout de son nez. De mon côté, j’hume l’odeur appétissante qui s’échappe de la tasse, la serrant entre mes mains, profitant de la chaleur qui émane de la vaisselle. “-Alors…arrivés en janvier, hein ? Votre intégration se passe bien ? Que pensez-vous de notre merveilleuse ville qu’est Cranstown ?” que je finis par demander au bout de quelques secondes, sans remarquer la grimace qui s’installe sur les traits de la gamine, qui finalement, doit pas la trouver si merveilleuse que ça, notre ville.

J’ai pas trop l’habitude de fréquenter des enfants. Mon frère et ma soeur en ont pas, et ça étonnera personne, mais…dans le monde du vin, y’a pas beaucoup de gosses non plus. Et c’est tant mieux, hein, ils ont rien à faire là. Mais pour le coup, même si je suis pas mal à l’aise en présence de mômes, je dois admettre que j’ai quand même aucune idée de ce que fait un ado de l’âge de Charlotte. Qu’est-ce qu’on aime, à cet âge là ? Est-ce que c’est mal venu de lui proposer de lui démêler les cheveux ? Est-ce qu’elle va m’envoyer bouler en pensant que je la prends encore pour un bébé, alors que pas du tout ? Est-ce qu’elle va se mettre à hurler, se sauver comme une furie et claquer la porte de sa chambre de toutes ses forces, comme le font les ados à la télé ? Ah bah…nan. Elle me donne juste le peigne, et s’installe dos à moi, pour me faciliter la tâche. Okay…c’est pas si compliqué finalement. Faudrait que je dise à Vikram et Nalini qu’il serait temps qu’ils procréent, car je ferais sans doute une super tante.

Je profite que Charlotte bouge pas pour lui faire une tresse, une de celles avec deux brins que je me fais souvent pour aller bosser, et qui prend une éternité à faire, mais elle bouge pas d’un cheveu, se montrant même impatiente de voir le résultat. Moi aussi je suis impatiente, pour le coup, parce que ça arrive pas tous les jours que je coiffe quelqu’un d’autre. J’ai le temps de finir la tresse avant que les tasses remplies du précieux liquide arrivent, à croire qu’un chocolat digne de ce nom, ça prend du temps. Le père et la fille entrechoquent leurs mugs, alors que Charlotte se retrouve vite avec de la chantilly sur le nez, ce qui m’arrache un énième sourire.

Puisque Martin a confirmé qu’ils étaient nouveaux dans le coin, je peux pas m’empêcher de demander comment ça se passe, depuis leur arrivée. Il faut dire que je suis ici depuis toujours, alors forcément, un nouveau venu -pardon, deux- ça soulève plusieurs questions. Sauf que je me rends pas compte que je suis en train de mettre les pieds dans le plat, pas avant que Charlotte reprenne la parole en s’emportant un peu. J’écarquille les yeux de surprise, avant de redresser la tête pour adresser un “désolée” silencieux à Martin, que j’articule à outrance pour qu’il parvienne à lire le mot sur mes lèvres. Mince alors, elle a l’air sacrément remontée, la petite gamine. Je grimace une nouvelle fois, en me rendant compte que même lui ne semble pas hyper à l’aise tout à coup.

Et voilà…encore une connerie d’Indira Bachchan. Je me demande combien de temps j’ai tenu, tiens ! Je devrais me dépêcher d’engloutir mon chocolat chaud, quitte à me brûler la langue, et filer d’ici avant de sortir une nouvelle bêtise. Sauf que contre toute attente, Martin reprend la parole, comme s’il m’en voulait pas de ma maladresse. Bon…c’est sûr que je pouvais pas savoir, mais quand même. Et à ses paroles, je secoue la tête, en souriant doucement : “-En même temps…si vous venez de quitter New York, je comprends que le dépaysement soit un peu brutal !” New York, rien que ça ! Je sais pas si je pourrais quitter une ville comme ça, qui bouge tout le temps, et où il y a tout le temps quelque chose à faire.

Tout en réfléchissant à la question concernant des activités amusantes à Cranstown, je me décide à goûter enfin au chocolat chauf. Et effectivement, il est à tomber ! Je suis pas trop adepte de cette boisson chaude, j’ai une large préférence pour le café, sous toutes ses formes : serré, allongé, froid, voire glacé, avec du lait, de la crème fouettée…bref, quelle que soit la forme, tant que y’a de la caféine, je suis partante. Pourtant, là, je suis bluffée par ce que vient de me servir Martin : “-Hm…j’admets que j’ai peut-être à faire à un spécialiste. Je n’avais pas bu de chocolat chaud depuis…ola, au moins deux ans…mais le vôtre est vraiment bon !” que je réponds, alors que Charlotte m’adresse ce regard qui veut dire “je te l’avais bien dit !”.

J’en avale encore plusieurs gorgées, avant de sortir mon téléphone pour consulter mon agenda, sans même me rendre compte que je peux paraître impolie. “-Je ne travaille pas samedi…alors si ça vous dit, à tous les deux, je peux m’improviser guide touristique ? Je vous embarque le matin, et vous emmène découvrir notre belle ville toute la journée…” Je manque jamais une occasion de faire la pub pour Cranstown, ses petits commerces, ses lieux atypiques. J’aime bien cet endroit, je vais pas le cacher. Il m’a vu grandir, et j’y ai connu mes plus grandes joies, tout comme mes plus grandes peines…même si je préfère clairement me souvenir uniquement des premières. Alors si je peux partager ça avec quelqu’un d’autre, je le fais avec le plus grand plaisir.