Bière en main, je scrute les invités un peu plus longtemps, m’attardant sur tel ou tel costume. Okay...peut-être que j’ai bien fait d’avoir perdu ce pari, enfin...juste parce que le costume que je porte est classe. Lourd, et rendant mes gestes gauches, mais vraiment classe, je dois bien l’admettre. Je crois que si on se faisait attaquer par je ne sais quoi, un peuple hostile réfractaire à notre présence ici, ou une armada de zombies, je pourrais les affronter sans souci. C’est du moins ce que me faire ressentir le costume sur mon dos...et franchement, c’est pas déplaisant, de ressentir une telle force, une telle confiance. Pour autant, pas d’ennemis à vaincre ce soir...même docteur Je me la pète n’a pas droit à ce titre aujourd’hui. D’ailleurs, je profite du fait de boire une nouvelle gorgée de ma bière pour fouiller la grande pièce du regard, et le zieuter pendant quelques secondes. Putain, ce costume qu’il porte...madre de dios, il est sacrément bien foutu. Ça ne le rend que plus détestable.

Je manque de peu de m’étouffer avec une nouvelle gorgée de bière quand je sens mon portable vibrer, quelque part, sous toutes ces couches de fringues. “-Merde, merde,merde !!!” Je tâtonne, trouve le bidule vibrant, et décroche in extremis, entendant la voix de ma mère à l’autre bout du fil. Enfin...la devinant plus que l’entendant réellement avec tout ce bruit ambiant. “-Maman...attends juste un instant, je trouve un endroit plus calme…” Je traverse la pièce, le portable collé à mon oreille, mon index appuyant sur l’autre, pour essayer d’entendre mieux. Je tente de slalomer entre les invités, et évidemment, je finis par me cogner dans une silhouette massive, qui me fait un peu chanceler. Je baragouine entre mes dents que je suis désolée, ne prends pas vraiment la peine de présenter de plus plates excuses, et m’esquive vers l’étage, me retrouvant bientôt sur le rooftop.

Je prends quelques instants pour regarder ce qui a été fait ici, les transats avec des tonnes de coussins, les plaids, l’écran géant qui diffuse un film où je ne sais pas trop qui est en train de se faire sévèrement massacrer. Franchement...ça en jette. “-Maman ? Je t’entends mieux maintenant…” Je relâche mon oreille, et l'entend me proposer de venir manger dimanche prochain, mes frères étant également présents. Je retiens pas un petit soupir, soulagée que ce ne soit rien d’autre. En général, c’est jamais très bon signe quand quelqu’un appelle en soirée. “-Bien sûr que je serai là…” Et elle se lance dans l’une de ses longues diarrhées verbales dont elle a le secret, alors que je lâche un petit sourire que personne peut voir. Je finis par poser mes fesses sur l’un des gros poufs par terre, n’entendant même pas les bruits de pas dans mon dos.

Elle parle, parle, paaaarle, au point que je me demande si ma mère ne va pas finir déshydratée d’ici peu, mais j’aime l’entendre aussi enjouée. Ma mère me raconte ce qu’elle a prévu de faire à manger, m’expliquant comment elle veut qu’on y trouve notre compte, puisqu’elle va faire le plat préféré de chacun, et je me mets à rigoler un peu quand je me dis qu’elle va sans doute y passer au moins deux jours. Mais j’essaye plus de la dissuader, ma mère est une femme incroyablement têtue…et je crois que c’est quelque chose qu’elle m’a transmis, depuis toute petite. “-Si tu veux de l’aide, n’hésite pas…ce sera sans doute pas aussi bon que si c’est toi qui le fait, mais si ça te permet de pas passer des heures à cuisiner, tu devrais y penser…” Mais évidemment, j’ai à peine terminé de parler qu’elle se met à refuser en bloc ma proposition, faisant déjà le détail de son planning. Je suis obligée de constater qu’elle a déjà tout prévu, et qu’elle a une organisation en béton.

Ma mère est encore en train de blablater quand une paire de jambes s’impose dans mon champ de vision, et que je me fais engueuler comme si j’étais encore une gamine, ce qui me met en rogne aussitôt. Je reconnais la voix avant même de lever le nez, et tombe sans surprise sur le visage du Doc’ je me la pète, furax…pour que dalle. “-Attends Maman, quelqu’un qui se prétend bien éduqué est en train de me montrer à quel point il ne l’est en fait pas du tout.” que je lâche d’une voix dure, écartant finalement le téléphone de mon oreille pour le plaquer contre ma poitrine, pour qu’elle n’entende pas la suite. Je me relève, et quitte le pouf, ce qui fait que je suis presque nez à nez avec le cardiologue, visiblement mal luné. Je fronce les sourcils, et croise les bras sur ma poitrine, le téléphone toujours en main. “-C’est bon, vous avez fini Docteur Samuels ?”

J’ai le sentiment d’être en train de le traiter comme un gosse, mais là, tout de suite, c’est l’image qu’il donne de lui : un gamin qui fait un caprice. “-Bien. Vous devriez songer à consulter un ORL, parce que je me suis excusée. Certes je n’ai pas hurlé mes excuses, puisque comme vous pouvez le constater j’étais au téléphone, mais je me suis bien excusée de vous avoir bousculé par accident.” Je le foudroie du regard, avant de soupirer lourdement, montrant le téléphone dans ma main. “-Maintenant, si vous le permettez, je vais poursuivre cette conversation téléphonique avec ma mère que vous avez interrompu sans la moindre manière.” Grrr ! Je lui passe devant, et me dirige vers la porte…qui a claqué, et ne s’ouvre plus. J’ai beau m’acharner sur la clenche, il ne se passe rien, la porte reste fermée obstinément. “-Maman…non ça va, tout va bien. Je te rappelle demain.” Je mets un terme à notre conversation téléphonique, et me tourne d’un bloc vers le docteur, qui écope d’un nouveau regard noir : “-Qu’est-ce que vous avez fait avec cette porte ? On est coincés maintenant !”

Que je me détende, sérieusement ? Mais…il réalise là, qu’on est coincés tous les deux sur son toit, nous, qui parvenons tout juste à ne pas nous arracher les yeux quand on est ensemble dans la même pièce ? “-Je vous signale que j’étais parfaitement détendue avant que vous ne fassiez votre petit numéro !” que je balance, à la limite de l’exaspération. Je passais même une soirée plutôt bonne. Mes sourcils se haussent quand je le vois se diriger vers le petit canapé qui se trouve là, et se laisser tomber dessus, comme si de rien était. Quoi…vraiment ?! On va même pas essayer d’appeler quelqu’un, pour qu’il vienne nous ouvrir ? On va juste…s’assoir là, et tuer le temps, en attendant qu’il prenne l’envie à l’un de ses invités de grimper sur le toit ?

Ah bah…oui, j’ai l’impression que c’est exactement ce qu’on va faire. Attendre, et boire, apparemment. Je jette un coup d'œil vers la porte close, avant de soupirer doucement, haussant une épaule. “-Un verre de vin blanc…s’il vous plaît.” que je dis, lui adressant ces paroles de politesse un peu de mauvaise grâce. Après un long regard au médecin, je finis par accorder toute mon attention au saladier rempli de friandises qui se trouve là, et dans lequel je me mets à farfouiller, jusqu’à sortir de là un paquet de Twix qui me fait de l'œil. J’en prends une barre, tendant l’autre au médecin, une légère moue s’attardant cependant sur mes traits : “-Considérez ceci comme un gage de paix.” que je dis, avant de récupérer le verre de vin qu’il me tend, et pour lequel je le remercie.

Je croque dans le snack, qui se marie sans doute pas du tout avec l’alcool, avant de laisser un regard glisser sur le Doc’ un peu malgré moi. C’est pas que je veux, vraiment, mais il est là…tous abdos dehors, et…pfiou, c’est vraiment pas désagréable à regarder. Hé bah…c’est quoi déjà, la durée autorisée pour mater son prof ? Je finis par détourner le regard, non sans me racler légèrement la gorge, lâchant du coup des lèvres : “-Joli…costume.” Joli corps, plutôt. Mais je crois que ça, j’ai pas trop le droit de le dire. Et je compte pas le faire. Ça reste le Docteur insupportable Samuels, qui mérite pas que je sois sympa avec lui. J’avale une nouvelle bouchée, avant de m’installer plus confortablement sur le canapé, du moins, aussi confortablement que le permet mon costume, et prends vraiment le temps de regarder autour de nous. Vache, il a pas lésiné sur l’organisation, le Doc’. C’est carrément sympa, cette histoire de film en plein air. “-Hé bah…on dirait que vous aimez vraiment Halloween…c’est plutôt…inattendu. J’étais persuadée que vous n’étiez pas du genre à savoir vous amuser.” Et je ponctue mes paroles d’un léger sourire, à peine insolent, avant de porter mon verre à mes lèvres, l’air de rien.

Évidemment, qu’il sait qu’il a un joli costume. Je me retiens à peine de lever les yeux au ciel, qui au lieu de ça se ferment brièvement, alors que je me passe de tout commentaire. A priori, ça lui aurait fait mal à la bouche de me retourner le compliment. Mais je m’en moque pas mal. Je sais que Max a assuré, et que j’ai l’air féroce dans mon costume. Une vraie guerrière, à qui il faut pas chercher des poux, sous peine de se prendre un coup d’épée, fausse certes, en plein bide. L’avantage, c’est que je pourrais réparer les dégâts après…enfin, si c’est à ma portée, évidemment. Je porte le vin à mes lèvres pour en boire une longue gorgée, appréciant la fraîcheur de l’alcool.

En tout cas, je dois bien admettre que le Doc’ a assuré pour cette soirée aux couleurs d’Halloween, il a vu les choses en grand, mais…j’imagine que ça colle avec le bonhomme. Si j’avais dû imaginer l’endroit où il vivait, je pense que c’est exactement à ça que j'aurais pensé. De beaux et grands espaces, du classe, un endroit chic. En revanche, je suis un peu plus étonnée par le fait qu’il soit du genre à aimer la nuit la plus effrayante de l’année, au point de faire une fête, et d’inviter la ville entière pour squatter chez lui. A ma remarque, et sans véritable surprise, Szkandär s’emporte un peu, alors que je lui adresse en réponse un léger sourire : “-Et vous devez bien admettre que c’est exactement ce que je fais…exceller.” Son expression sévère m’amuse encore un peu plus, mais je tente de cacher mon sourire derrière mon verre, que je porte à mes lèvres une nouvelle fois.

Je hausse finalement une épaule, poursuivant, l’air de rien : “-Vous ne trouvez pas ça…comique ? De me faire la morale parce que je me fie à l’image que vous renvoyez à l’hôpital, alors que vous-même m’avez rendu la vie impossible pendant des mois, et ce malgré mon bon travail, mon implication, mes résultats, parce que j’ai eu le malheur d’avoir deux minutes de retard lors de notre rencontre ?” Je secoue doucement la tête, croquant dans ma barre chocolatée, avant de reprendre : “-Ne ressassons pas le passé. Après tout…nous ne sommes pas à l’hôpital. Vous n’êtes que Szkandär, et je ne suis qu’Erin.” Ici, il n’est pas mon Boss…juste l’hôte de ces lieux, qui peut me mettre à la porte de chez lui quand bon lui semblera…enfin, quand on sera venus nous libérer de ce toit. Mon sourcil se hausse à sa question, et…il est certain que je m’attendais pas à ce qu’il propose un jeu. Je soutiens son regard de longues secondes, plissant les yeux, avant de hocher la tête : “-Très bien, allons-y…je vous préviens, je suis mauvaise perdante.” Et alors que je croque dans la barre une nouvelle fois, je l’invite à se lancer d’un geste de la main, me demandant ce qu’il a derrière la tête.

You-hou, Mesdames et Messieurs, attention, j’ai eu droit à un espèce de sourire. Ouais, je peux juste dire “espèce de sourire”, parce qu’il était pas vraiment franc, un peu comme si Szkandär se retenait, parce que rire pour de vrai, ça lui faisait beaucoup trop mal. C’est peut-être le cas, d’ailleurs. Je suis pas certaine de l’avoir déjà vu beaucoup sourire. Pour le coup, j’ai l’impression qu’il tire plus souvent la gueule qu’autre chose, ou beugle sur des internes ou des résidents, qu’il ne sourit. Sauf si vous êtes une nana canon, alors là, forcément, y’a prescription. Mais je m’égare. Tout ça pour dire que le docteur Je me la pète vient de presque sourire, et que du coup, demain, il va sans doute pleuvoir des grenouilles. Il s’imagine sans doute être plein d’esprit et hyper malin, à me faire la leçon sur le fait qu’il faut pas juger sans connaître, alors je me gêne pas pour lui rappeler notre rencontre, celle où j’ai eu le malheur d’être un tout petit peu en retard, et qui me vaut désormais toute sa sympathie.

Peut-être que si je lui en voulais pas autant, je pourrais le remercier. Je devrais sans doute le remercier, d’ailleurs. Szkandär me passe rien. Rien, de chez rien. Pire, j’ai toujours l’impression que quand il sent qu’il pourrait me coincer, ou qu’une procédure est un tant soit peu compliquée, il m’interroge. Comme s’il avait envie de m’entendre dire la mauvaise réponse. Mais je lui donne rarement satisfaction, même si c’est déjà arrivé, bien sûr. Après tout, je ne suis qu’étudiante, et si je savais tout sur tout, je serai titulaire depuis longtemps. De tous mes enseignants, le chirurgien cardio-thoracique est le plus dur…mais c’est aussi celui avec lequel j’apprends le plus, parce qu’avec lui, je me surpasse. Je suis obligée de le faire, si je veux pas être à la traîne, me planter, et subir ses vieilles remarques désobligeantes. Alors ouais…il me pousse à bosser, à être la meilleure même, et peut-être que si on passait pas autant de temps à se faire la guerre, je pourrais songer à lui dire merci.

Mais pas ce soir. Ce soir, comme dit, on est juste Szkandär et Erin. Un mec, et une nana. Un gars ultra bien foutu dans son costume d’Halloween, et une guerrière qui défonce tout. Enfin…je crois que c’est ce que fait la nana en quoi je suis déguisée. Là n’est pas la question. On laisse derrière nous l’hôpital, et nos différents, nos vieilles querelles débiles, cette guéguerre à la con pour être celui qui a le dernier mot au cours de nos échanges houleux, et on se contente pour ce soir de coexister sans se tirer dans les pattes. Vu qu’on est coincés sur le même toit, c’est pas une si mauvaise idée, après tout…surtout quand on sait que la seule possibilité pour échapper l’un à l’autre, c’est de faire le grand plongeon vers le rez-de-chaussée. Non merci.

En tout cas, je sais pas si je l’ai vexé, ou si ma petite pique était un poil trop violente pour lui, mais Szkandär a pas trop l’air d’apprécier de s’entendre dire que je l’imagine incapable de s’amuser. Ou en tout cas, il a l’air bien décidé à tenter de me prouver le contraire. Il devrait s’estimer quand même heureux que j’ai juste dit que je le pensais incapable de s’amuser, alors qu’au fond, j’ai plutôt tendance à penser très fortement qu’il a un balai enfoncé un peu trop profondément dans le postérieur. Alors forcément, quand il me propose de faire un petit jeu, j’accepte en un clin d'œil. Déjà, parce que j’admets être curieuse d’en découvrir un peu plus sur celui qui est mon mentor, et aussi, parce qu’il faut bien passer le temps. J’ai un léger haussement d’épaules quand il réplique qu’il se doutait que j’étais mauvaise perdante, alors que cette fois-ci, il sourit avec un peu plus de conviction. Avalanche de grenouilles en perspective.

Avec intérêt, j’écoute ce qu’il propose, alors que le docteur se sent d’humeur à se lancer dans une version remixée de “je n’ai jamais”. C’est vrai que ça peut être une bonne chose pour apprendre à en connaître un peu plus sur ce type que je fréquente tous les jours dans le cadre de mon boulot…et dont j’ignore pourtant tout. Pas que ça m’intéresse et tout cas, hein, mais bon… Il va pourtant falloir que je m’arrange pour pas finir trop alcoolisée, sinon je risque de zapper tout ce que j’ai pu apprendre sur lui. “-Très bien, je suis partante. J’admets volontiers que vous avez titillé ma curiosité, Doc’.” que je réponds dans une mimique malicieuse. Je me tourne un peu plus vers lui, prends mes aises, comme si je devais m’attendre à appuyer sur un buzzer imaginaire à tout instant, et hoche une nouvelle fois la tête : “-Donnez tout ce que vous avez, Samuels.” Autrement…it’s on, Baby.